Discours de Frédéric-Jacques TEMPLE
Frédéric-Jacques TEMPLE, parrain du concours d’écriture poétique francophone « 19 », discours prononcé le 24 mai 2014 à Montpellier dans le cadre du colloque « Florilège »
C’est avec émotion que j’aborde ce moment où l’on m’a fait l’honneur de parrainer - à un âge certain – les essais poétiques d’une jeunesse d’Europe de l’Est qui témoigne d’une étonnante maîtrise de la langue française, comme le prouve parmi tant d’autres, le poème de Marina Ghile, premier prix de la catégorie des plus jeunes, qui a douze ans et vit en Roumanie. Elle a fabriqué une petite féérie avec laquelle elle a su restituer l’atmosphère, le vocabulaire et le rythme des comptines de notre enfance …
Il faut être très reconnaissants à ces professeurs macédoniens, roumains, moldaves, albanais, arméniens, bulgares … pour avoir si bien conduit leurs élèves à travers les méandres et les pièges de notre langue, pour leur en avoir donné le goût et plus encore l’amour de l’histoire et de la culture française dans toutes ses dimensions.
L’une des lauréates, Paula Chiriac, de Drochia en Moldavie n’exprime-t-elle pas le vif désir (je cite) : « revenir au XIXe siècle et connaître Victor Hugo » ? Ce qui me fait souvenir qu’un jour, dans une classe où j’étais invité, un élève qui pensait que les poètes étaient intemporels m’a drôlement interpelé : « Alors, vous avez connu Victor Hugo ? »
Cette même jeune-fille a donné pour titre à son poème « Je suis fatiguée » … et elle poursuit : « Je veux donner un sens à ma vie ». Elle a 18 ans. Ce n’est pas l’âge de se reposer ou d’être las de la vie. Merci Paula d’avoir désiré vivre dans la proximité de Hugo et de Zola, nous prenons cela comme un bel hommage à ce grand siècle de la littérature française. Comme beaucoup de poètes, vous rêvez d’un ailleurs mieux accordé à vos valeurs, à votre sensibilité, à votre goût de l’absolu et vous le situez dans le temps passé, mais soyez sûre Paula que le siècle présent a besoin de vous !
Une autre lauréate, Marta Elisa Hura, adolescente roumaine, nous promène également dans le romantisme français et sème ça et là dans son poèmes des cailloux blancs qui témoignent de son amour pour notre culture et de sa connaissance intime : Promeneur solitaire … prince ténébreux … fille du feu … le lac … la mort du loup … les misérables … et même le radeau de la méduse.
Et que dire de Diana Badita, également roumaine, qui dans un poème intitulé Amour francophone, s’identifie à Bergson, à Rodin, à Gauguin, Charpentier, Victor Hugo (encore lui), Ionesco, mais aussi Louis de Broglie, Marie Curie et même Brigitte Bardot ! Et dit-elle « pour tout cela, je veux exprimer mes sentiments français ». Bien entendu les lauréats de cette catégorie de quinze à dix-huit ans n’échappent pas aux tourments de l’adolescence et n’ont pas encore engrangé les expériences de la vie qui donnent aux œuvres leur sens et leur force. Mais tout est dit avec justesse, fantaisie et fraîcheur, dans une langue qualifiée par le jury d’impeccable.
Ce qui me fait affirmer avec force que la France qui séduit ces jeunes gens doit se réjouir de se voir accueillie et d’être présente dans l’esprit et dans le cœur des enfants de ces divers pays. Cette présence est sans doute en ces temps de trouble et d’incertitude, notre meilleur bien. Elle peut aider les jeunes français à prendre conscience de ce que le rayonnement de leur culture est un privilège dont il faut être digne.
Et je dis volontiers avec Marija Velkovska, macédonienne de treize ans, dans son poème Un pays magique : Sous le soleil qui sourit
Vive la francophonie !
Une question se pose alors : ces jeunes gens deviendrons-t-ils poètes ou le resteront-ils ? L’écrivain anglais Lawrence Durrell, qui a vécu à Sommières près de Montpellier les trente dernières années de sa vie, a déclaré, en connaissance de cause : Tout le monde est poète à douze ans, mais seuls le sont vraiment ceux qui écrivent encore à soixante. Ce qui veut dire que le poème est le fruit d’une rencontre entre les péripéties de la vie, l’exploration du monde sensible et la pratique d’un langage créateur.
Dans la préface que l’on m’a demandée pour l’édition du Florilège, j’ai rappelé la réponse faite par Blaise Cendrars à la question Pourquoi écrivez-vous ? Réponse brève et définitive : Parce que. J’avoue que je ne me suis jamais posé cette question. Je suppose que mon premier poème, à coup sût très mauvais, provenait d’une série de circonstances : la fréquentation des poètes du programme, le désir d’exprimer mes pulsions et mes sentiments et peut-être surtout les lectures fiévreuses qui enflammaient mon imagination de pensionnaire.
Si on me demande aujourd’hui ce qu’est la poésie, je peux dire que je n’en sais rien. Si on ne me le demande pas, je crois le savoir.
C’est peut-être un pis-aller pour combler des vides, un produit de remplacement de ce fameux Paradis qui n’existe que perdu. Tout cela reste mystérieux. Au jeune poète qui était venu demander à Rainer Maria Rilke ce qu’il pensait de ses propres œuvres, il fut répondu que personne ne pouvait le conseiller ou l’aider : « Il n’est qu’un seul moyen : rentrez en vous-même, cherchez la raison qui au fond de vous vous commande à écrire. Demandez-vous à l’heure la plus silencieuse de votre nuit ; dois-je écrire ? »
Et si enfin vous avez décidé d’écrire, poussé par mille forces obscures, il faut livrer bataille, ne pas se laisser submerger par les idées ou les sentiments mais faire en sorte que grâce aux mots choisis, aux résonnances entre ces mots, et aux phrases qu’ils composent, les idées et les sentiments puissent naître et vivre. Cela commande de biffer, gommer, déchirer, brûler, jusqu’à trouver sa propre voix.
J’ignore évidemment quelles routes vont prendre les jeunes gens dont les textes figurent dans le Florilège, comme je l’ignore de tous ceux qui dans le monde tentent d’exprimer leurs engagements, leurs joies et leurs tourments. Le seul conseil que je peux leur donner c’est de vivre, vivre d’abord, car c’est la vie qui engrosse les œuvres. Vivez d’abord. Et si finalement vous n’avez pas choisi d’écrire ou si vous y avez renoncé, au moins vous aurez vécu !